
L’interview ratée
– Pouvez-vous me résumer les grandes différences entre le cerveau d’un enfant et d’un adulte ?
-Si vous avez trois ans devant vous, oui. Sinon, allez plutôt lire les articles d’Alison Gopnik.
Admettons-le, cette interview d’une grande professeure en neuropsychologie était ratée. Cela nous arrive à tous (mais nous n’en parlons jamais sur LinkedIn). Nous étions un vendredi soir, le dernier avant les congés de décembre. J’étais mal préparée, elle n’avait aucune envie de me faciliter la tâche, et tout le monde avait envie d’être en vacances.
Alors je lui ai fichu la paix et je suis allée lire les articles de Gopnik. Cette grande professeure de psychologie, professeure associée de philosophie à Berkeley, a publié des travaux de pointe en sciences cognitives et en psychologie du développement. Très bien. Mais, surtout (ô merveille), elle maîtrise assez son sujet pour le décliner avec humour. Son Anti-manuel d’éducation est une mine de faits scientifiques au service de la déculpabilisation des parents.
Dans une chronique pour le Wall Street Journal, elle raconte une expérience très intéressante qu’elle a menée avec la jeune chercheuse Emily Liquin (on note au passage l’élégante mise en valeur des post-doctorants).
Des cubes et des huîtres
Elles ont demandé à des enfants et des adultes de jouer à un petit jeu. Le but était d’insérer des cubes dans une machine pour trouver les cubes « gagnants ». En constatant que les cubes à rayures blanches gagnaient et que les cubes à pois blancs perdaient, les adultes ont vite déduit une règle simple: les rayures gagnent, les pois perdent.
C’est bien ça ? Non, perdu.
Quand nous, les adultes, essayons quelque chose de nouveau, comme les huîtres ou l’art abstrait, et que ça se passe mal, nous avons tendance à ne pas réessayer, explique Alison Gopnik. C’est aussi ce qui nous permet de ne plus jamais traverser la route sans regarder. Mais le danger, c’est de ne plus jamais goûter d’huîtres à cause d’un individu avarié, de ne plus mettre les pieds au musée à cause d’une installation tout aussi indigeste, et de passer à côté de moments délicieux.
Les enfants qui ont participé à l’expérience ont continué de mettre des cubes dans la machine, à pois, à rayures, de toutes les couleurs. Juste pour voir ce que ça faisait, quitte à perdre des points au jeu. Et ils ont bien fini par se rendre compte que tous les cubes étaient gagnants, sauf ceux à pois blancs. Alors que 70% des adultes n’ont jamais trouvé la solution.
Tout ça, c’est à cause des huîtres ? Non, c’est à cause de notre cerveau d’adulte. En grandissant, notre cortex préfrontal se développe, nous gagnons en prudence et en efficacité. Alors que les enfants sont des explorateurs naturels.
En 2022, j’aimerais continuer d’explorer. De tenter des interviews intimidantes, même si elles sont ratées. Je vais continuer de mêler joyeusement, dans mon travail, grandes institutions et traductions de romans graphiques, récits corporate et balades en forêt. Je me suis même mise à la menuiserie, à la grande terreur de mon compagnon. C’est pas terrible pour le moment, mais on n’est pas à l’abri d’une réussite.
Je vous souhaite donc, du fond du cœur, de très intéressants ratages en 2022.